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Dessous les pavés, c'est la plage
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Dessous les pavés, c'est la plage
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1 décembre 2005

Mon amour m'a baisé

(Euh, voilà, une espèce de "nouvelle" que j'ai écrit. Je sais que pas grand monde passe par là, mais j'voudrais un avis, objectif, pour m'améliorer, ou tout simplement un petit mot, ça serait sympa... Ça m'a été inspiré par une petite route qui mène de la côte d'Espagne (la costa brava) à Barcelone. C'est si beau, si beau...)

Devant, la route se déplie, un ruban triste et gris qui se tord au milieu de toutes ces couleurs. Derrière, elle ne sait déjà plus. Dans le rétroviseur, elle reconnaît les reflets orangés du tournant qu’elle vient de dépasser ; elle trouve un air de déjà vu à cette route étroite qui maintenant s’enfuit en courant. A gauche, elle devine le vide. Elle sait que derrière cette rambarde bancale il n’y a rien. Ou que du bleu. Le bleu brillant et presque éblouissant de la mer, ce bleu subjuguant qui vous fait oublier tout ce vide, toute cette hauteur, ce bleu lisse qui vous donne envie d’y plonger. A droite, elle ne sait pas. Elle ne veut pas tourner la tête, sûrement par jeu. Un défi ridicule qui lui donne l’espace d’une seconde l’impression qu’elle contrôle encore. A droite, elle devine du vert, ou du rouge. Le vert des arbres sur le rouge écarlate de la pierre d’argile, espère-t-elle.

Derrière ses grosses lunettes fumées, elle sourit presque, mais cette ébauche de sourire pourrait tout autant être une moue d’ennui ou de fatigue. Elle-même l’ignore. Elle s’enfonce d’un air boudeur, peut être même méprisant dans le siège défraîchi de sa voiture. Mais qui méprise-t-elle ? Que méprise-t-elle ? Sa vue se brouille d’incertitude. Elle commence à s’habituer à ne pas savoir, à ne jamais rien savoir. Elle a déjà dû s’habituer à tant de choses. Elle a dû s’habituer à partir, à toujours partir, aux moments où elle en a le moins envie. Elle y repense avec amertume.

Et puis, elle tourne, brusquement, et freine. Elle est déjà arrêtée sur le bord du ruban avant d’y avoir songé, mais elle ne s’en étonne même pas, car elle ne s’étonne plus. Elle s’est même habituée au monotone. A ces odeurs sans parfum. A ces fruits au goût si fade. A ces voix sans timbre. A ces yeux sans regard. A son propre regard, qui s’est noyé, ou perdu. A ces notes, presque dénuée de sens. Presque, seulement. Depuis l’autoradio, une voix éraillée lui parvient encore. Un frisson la parcourt. Non. La musique est restée toute entière, et n’a rien perdu de sa beauté déchirante.

Summertime… Child you’re living easy … Fish are jumping out… And the cotton, lord, cotton’s high, lord, so high…

La clé de contact tourne, le moteur se tait. Elle ne l’entendait même plus, tant son ronronnement est uniforme. Le silence l’assaille soudainement, mais la musique l’emplit. Il en déborde presque. Mais qu’est-ce que le silence ? Une autre sorte de vide. Le vide, encore une fois. Elle se dit que sa vie est un peu à l’image de ce vide. Sa vie est un vide qui a connu les rêves, qui autrefois s’embrasait pour un flou artistique. Sa vie est un vide nostalgique de ce qu’il a déversé. Sa vie n’est plus qu’un vide frustré. Même sa voix est rongée par cette frustration amère.

Elle se souvient du temps des rêves.  Du temps où elle valsait avec le vent. Du temps où la décadence était belle, si belle. Du temps des illusions, qu’elle savait déjà illusoires. Du temps de l’excès. Du temps où elle enviait les nuages. Du temps où la poésie accompagnait chacun de ses gestes. C’était aussi le temps du doute, d’un doute strident. Mais, cette époque n’est pas si lointaine. Elle est sûre qu’en fermant les yeux, elle peut y retourner sans mal. Elle ne les ferme pas. Ces yeux là plongés obstinément dans la contemplation du vide, elle continue son avancée sur le long fil du temps, funambule virevoltant d’un pas hésitant. Elle voit les illusions illusoires tomber de leur piédestal de papier pour laisser justement place à la désillusion. Elle voit les rêves s’en aller sans que personne ne tente de les retenir. Elle voit l’excès s’aplanir, la résignation s’imposer. Elle se revoit basculer presque inconsciemment dans cette médiocrité qu’elle avait toujours fuie. Elle essaie en vain de retrouver son regard d’avant, d’avant le voile gris. Elle n’y parvient pas. Cette couleur est détestable. Le gris est un noir qui n’ose pas devenir blanc ; un blanc qui n’arrive pas à passer au noir par peur ou manque de volonté. Le gris est la couleur de la médiocrité. Sa vie est un vide gris.

Elle est devenue tout ce qu’elle hait. Est-ce pour autant paradoxal ? Elle ne sait pas. Souvent les peurs attirent. Ce genre de fin l’effrayait. Répulsion, attraction ? Un jour, elle a promis aux nuages qu’elle ne vieillirait jamais. Pourtant, elle est si vieille dans son éclat terni, dans son désespoir sans consistance, dans ses regrets noyés, dans son affligeante indifférence. Les nuages punissent-ils les parjures ?

One of these mornings… Child, you’ll rise up singing, baby, oh, I said you’re gonna wanna go, spread your wings… You take to the sky… Lord the sky…

L’image du jour où tout s’est perdu s’impose à son esprit, comme une évidence aveuglante. Elle tente dans un dernier effort qu’elle sait déjà vain de la repousser, mais l’image s’obstine. Ce jour-là, elle a refusé. Elle a eu peur d’avancer droit vers le rêve car le chemin se situait trop près de la falaise. Elle a fait demi-tour. Il a suffit d’une hésitation, d’un simple mot. Elle savait avoir tort avant même de le prononcer. Mais il était trop tard, elle n’a pas su l’empêcher de sortir. Elle a tellement honte, mais ne sait plus pleurer. Cette honte la torture, cette honte la pourrit, l’obsède, ne la quitte pas. Cette honte ressemble à un rêve, mais à un rêve fané qui la suit et la nargue comme pour lui rappeler effrontément qu’elle n’a pas su sauter au bon moment pour l’attraper. Qu’elle a trop attendu et qu’il s’est éteint entre temps.

Comme une ombre sans volonté, elle ouvre la portière et sort. Le vent la déstabilise, la fait tituber. Le vent la tutoie, mais elle ne sait comment lui répondre. Alors, elle l’inspire. Il la pénètre, l’envahit. Elle suffoque, mais se sent bien. Le vent la lave comme le ferait une pluie acide. Elle déglutit et l’avale. Elle n’en a pas assez, elle veut toujours plus de ce souffle insolent qui se bouscule pour entrer en elle. Le vent souffle tout autour d’elle, elle aime cette sensation d’impuissance. Elle se sent portée, guidée. Elle a l’impression d’être un instrument lors d’un corps à corps passionné avec son musicien. Sans volonté, mais submergé d’émotion. Elle se laisse conduire. Le vent est un artiste capable de faire dériver les nuages, et que cette dérive est belle ! C’est peut être la seule dérive digne d’être appelée ainsi. C’est un joli mot, dérive.

« Involontaire ». C’est beau, aussi, non ? Elle aime ce mot. Il est si… rassurant. Ce mot déculpabilise, déleste de toute responsabilité. Il fait s’envoler toutes les erreurs. Il les balaie toutes d’un regard protecteur, d’une excuse bafouillée, qui n’est sûrement même pas valable. Ce mot n’existe pas, il est trop léger.

Elle avance, aperçoit le vide, le bleu. Il la fascine, la possède. Ce n’est pas de l’eau, ce n’est pas la mer. C’est seulement une nouvelle nuance de bleu : bleu infini, bleu (dés)espoir, bleu hypnotique, bleu hallucinogène, bleu réverbère. Bleu réverbère ? Malgré elle, elle sourit. C’est un rictus presque douloureux qui lui tord le visage. Réverbère. D’où sort-elle ça ? Brusquement, elle se trouve pathétique. Mais drôle, si drôle. Elle se trouve ridicule, à se tenir là, comme possédée, une seule larme lui barrant le visage, immobile, sans but, à savoir sans y croire ce qui va se passer. Car depuis si longtemps, elle n’a rien fait en entier. Même ce rire dérangé, dérangeant, déplacé, même ce rire absurde empreint d’un arrière-goût de folie ne sort qu’à moitié. Il la secoue, elle qui voudrait rester immobile. Il saccade jusqu’à ses pensées. Il s’échappe par à-coups, malgré elle, qui essaie en vain de le retenir. Elle a déjà oublié pourquoi elle rit ainsi. L’écho de son rire lui parvient, presque inaudible, et la fait frissonner. C’est fini. Tout est sorti. A présent, elle a peur. Ses yeux grands ouverts l’effraient. Elle essaie de les fermer mais n’a plus assez de volonté ; ses pupilles hallucinées restent fixées sur le bleu. Le bleu qui semble d’ailleurs emplir le vide. Les deux se confondent, mais elle ne veut surtout pas savoir s’ils sont bien distincts. Parfois l’incertitude a quelque chose de poétique.

Until that morning, honey, nothing's going to harm you, babe, I said honey nothing's ever gonna let you down…

Lentement, elle avance. Elle chancèle sous le poids du vent comme sous celui de son amertume, puis s’accoude à la rambarde dans un grincement métallique. Ses cheveux l’aveuglent, lui battent le visage violemment. Elle a l’impression étrange qu’ils l’empêchent de se délester de cette culpabilité qui la pèse. Ils lui emplissent la bouche, lui fouettent les lèvres et lui interdisent de prononcer le mot, ce joli mot : « involontaire ». Ils l’alourdissent. Courts, peut être la laisseraient-t-ils enfin en paix… Elle leur trouve encore l’odeur des caresses de toutes ces mains qui ont défilé les unes après les autres. Elle sent encore sur sa joue la marque brûlante de ces lèvres qui l’ont aimée, elle entend toujours ces voix douces qui ont essayé en vain de la bercer, de l’envelopper mais qui n’ont rencontré qu’une indifférence froide, cachée derrière des faux sourires. Elle s’est lassée des braises qui s’éteignent aussi vite qu’elles s’enflamment. Elle a trop souvent balayé les restes défraîchis de ces amours futiles et inutiles. Elle s’est lassée de faire payer aux autres sa propre aigreur. Elle s’est enfermée dans une tour de mépris. Elle a trop méprisé, et méprise encore tous ceux qui selon elle ont raté leur vie sans s’en apercevoir. Elle, au moins, a parfaitement conscience de cet échec complet et pathétique. Elle méprise tous ceux qui croient être heureux, tous ceux qui ne tomberont jamais de haut car ils ne sont pas en mesure de se rendre compte que leur prétendu bonheur est en papier mâché. Elle méprise profondément ceux qui se contentent de peu. Qui ne rêvent pas. Qui ne crèvent pas d’ennui dans leur normalité.

            Ses yeux se lèvent d’eux même vers le ciel, cherchent l’horizon qu’ils ne trouvent pas. Tout est flou. Elle se dit que c’est un bel endroit, ici, tellement partout et nulle part à la fois. Elle aura au moins connu le Beau. Elle n’a plus rien à attendre. Elle veut avoir l’impression d’avoir été maître de son destin, rien qu’une fois puisqu’elle n’a pas su conduire le reste. En finir, tout de suite. Cela sera sûrement plus utile que des défis stupides lancés aux nues. 

Alors, elle ferme les yeux, se penche, se penche encore, se penche toujours un peu plus. Le bleu devient écarlate. Elle bascule. L’instant où tout est encore possible, la seconde figée où elle n’est ni tout à fait sur terre ni tout à fait dans le bleu, ce moment est une faille, une faille infinie. Il est comme la seconde où on bascule dans le sommeil, dans le rêve. Tout le monde vit ainsi des moments d’éternité, d’infini, sans même s’en rendre compte. Sans le vouloir, sans y penser. Cet instant précis est à la fois l’équilibre et la chute, la chaleur et le froid, la nuit et le jour, l’acide et le doux. L’espace de cette seconde infinie, elle se sent bien, si bien.

Puis elle se sent voler, elle se sent tomber, toujours un peu plus bas. Et c’est tellement agréable de tomber indéfiniment, dans ce bleu écarlate. Ses membres se tordent dans la chute, sans volonté. Les yeux fermés, elle se laisse aller dans cette impuissance, ballottée par le vent, comme un rideau de tulle à une fenêtre ouverte, un jour d’orage. Il fait beau, le souffle du vent et la vitesse n’empêchent pas encore le soleil de brûler sa peau. Mais le choc, la rencontre avec l’eau ne vient pas. Elle l’attend. Elle sourit, c’est un vrai sourire. Il ankylose ses lèvres qui avaient oublié cette sensation. Elle sourit car elle trouve que cette perdition est la plus belle chose qu’elle n’ait jamais ressenti. L’eau n’est toujours pas là. Elle s’en étonne. Elle a l’impression de tomber depuis des heures. Ses yeux cherchent à s’ouvrir. Elle les en empêche tant qu’elle le peut encore, aussi fort que possible, car elle ne veut pas savoir.

Mais ses dernières forces s’épuisent trop vite, elle est trop fatiguée, ses yeux s’ouvrent, elle voit. Elle voit la mer. La mer, ses vagues bleues. Le ciel, ses nuages, l’horizon. Ses pieds, bien campés sur les graviers. La falaise, la rambarde croulante qui menace de s’écrouler sous ses bras. Elle est horrifiée. Horrifiée par tout ce réel. Elle se retourne, ses jambes sont en coton, en vapeur de nuage. Elle entre furtivement dans sa voiture, tourne la clé, retrouve le ruban gris. Ses yeux sont perdus, définitivement.

Hush baby, baby, baby, baby, baby… No, no, no, no, Don’t you cry, oh no, cry… Don’t you cry.

Elle ne pleurera pas.

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Commentaires
M
c'est du baudelaire cinématographique mélangé à du lynch litéraire. continuez à écrire quand je pense à ce qui se publie...merci pour tant de beauté. et bonne année et bonne fête de l'aid.
L
J'ai pas les mots... J'apprécie tout simplement. Bienvenue dans ce monde là :o)
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